samedi 23 juin 2007

La grande angoisse

Vendredi 17 heures, je quitte le travail précipitamment, laissant tout en plan, suite à l'appel téléphonique de Sophie, depuis l'aéroport où elle tente de prendre le premier vol pour rentrer. A l'heure des bouchons, je prends la file d'urgence pour doubler tout le monde et arriver à l'école prendre Jade. Je lui dis juste "vite, Jade !" en la voyant dans la cour. Elle prend son élan et arrive jusque moi en même temps que je signe la décharge de la garderie. Elle me demande :

- Qu'est-ce qu'il y a, Papa ?
- Je dois emmener Nils à l'hôpital tout de suite, ma puce, faut se dépêcher...


Alors, Jade court à mes cotés comme elle n'a jamais couru. Je vois qu'elle aime son petit frère. Ca m'émeut. On monte dans la voiture, je démarre aussitôt et boucle ma ceinture plus tard. Je grille le feu rouge qui se présente devant moi.

Alors Jade me redemande ce qu'il y a :

- Nils a de la fièvre et il a vomi plusieurs fois à la crèche, Jade, et Loana l'a emmené chez le médecin et le médecin dit qu'il faut l'emmener tout de suite à l'hôpital mais ne t'inquiète pas, ça va aller...
- Ah bon ?
- Oui, si ça tombe, c'est pas grave


Mais Jade doit bien le voir que je suis pas dans mon état normal, que je flippe, que je me fais des films dans la tête en tentant de le cacher.

Arrivant au rond-point juste avant de bifurquer dans la petite rue qui mène chez nous, trois motards verbalisent en ville les excès de vitesse. Je m'arrête en double file, commence à m'adresser au premier qui ne me répond pas et ne m'écoute pas mais pointe son doigt vers son collègue en grimaçant. J'explique alors au collègue en question que je dois emmener mon fils d'urgence à l'hôpital et que si un motard pouvait m'aider à ces heures de bouchon, vue l'urgence, ça m'aiderait beaucoup. Alors, le second motard pointe du doigt en me disant :

- Faut voir avec le chef

Je me rends compte que le chef, c'était le premier motard, lui réexplique le truc, et il me répond :

- Ah, ça, faut voir avec les pompiers

Je réponds :

- Ok, laissez tomber, merci beaucoup

Mais, j'enrage de leur balancer que leur mission c'est de verbaliser plutôt que d'aider ou de protéger, qu'être poli ou écouter, ou aider, ça peut être dans leurs missions. Mais en fait, je m'en balance, je retraverse le rond-point sans me soucier des voitures qui arrivent, remonte, redémarre, le tout a dû durer trois minutes. Je stoppe devant la maison, descends Jade de la voiture en lui disant que non, elle ne peut pas venir avec moi, qu'elle va rester avec Loana.

Je sonne, trouve Loana, Nils à coté, debout, et c'est déjà bon signe. Elle me dit qu'il a revomi deux fois, me donne la lettre du médecin, le sac qu'elle a préparé, de l'eau, des vêtements, une couche, car il a soif et il faudra le changer s'il revomit.

J'installe Nils dans le siège de Jade, qui n'est pas fait pour lui, mais on y va. Il me demande pourquoi Jade ne vient pas, je dis juste qu'elle reste avec Loana. Il est blanc. Ca ne me rassure pas. Au feu du bas de notre rue, qui ne donne que 30 secondes pour rejoindre le flot de l'avenue Saint-Exupéry, la lumière est verte mais les voitures devant nous n'avancent pas. Je dis "Allez, Allez" en klaxonnant dans mon état second. Nils répète "allez". Quand c'est mon tour, ça passe au rouge et je m'arrête cette fois car Nils est avec moi. Je comprends que l'on n'a pas avancé car une adolescente a pris tout son temps, pour traverser, walkman sur la tête, alors que le feu était vert pour nous, dans le style du jeune qui emmerde tout le monde. Pour moi, chaque seconde compte et j'ai envie de lui expliquer ma situation, que je dois emmener mon bout de chou à l'autre bout de la ville, sans tarder, et que ses états d'âme mettent en danger un peu plus Nils. Mais je n'ai pas les mots pour dire ça, alors j'abaisse la vitre et je lui gueule "Pétasse". Elle ne se retourne pas. Nils répète en même temps que moi "Péta". Ca fait déclic dans ma tête, ça me ramène à plus de raison : ça ne se fait pas devant les enfants, ça ne se fait pas tout court. Dans cette situation, il m'a fait sourire, et trente secondes après, ce sourire se transforme en une haine indicible que je ne veux pas le perdre. Au moins cet incident, dans l'urgence présente, m'a ramené à un peu de raison pour faire la route jusqu'à l'hôpital en même temps que le mimétisme de Nils sur mon action a accru mon émotivité à son sujet.

Finalement, ça roule moyennement. Nils me dit qu'il a chaud, et j'abaisse les vitres. Il est sage. Il est super. Mais plus il est super, plus ma gorge se noue. Je me retourne de temps en temps pour lui caresser les cuisses, lui sourire, lui demander si ça va, lui faire coucou, mais dès que je remets la tête dans le sens de la route, ma tronche change. Vite, Purpan, faut que j'y arrive et je découvre le SMS de Sophie qui me détaille le chemin pour y aller au moment même où je m'inquiétais de retrouver le chemin.

Dans ma tête, je m'en veux vis à vis de Nils de n'avoir pas quitté le travail en raison du dossier urgent qu'il fallait remettre, je m'en veux d'avoir laissé Sophie, depuis Paris, s'arranger avec Loana emmener Nils chez le médecin. C'était à moi de le faire et je ne l'ai pas fait, pour ce qui, sur l'instant, m'apparaît dérisoire. C'est un sentiment dur à porter sur l'instant, a posteriori, quand je sais maintenant pourquoi j'emmène Nils à l'hôpital, même si lorsque j'ai indiqué à Sophie que vraiment, je ne pouvais pas, la situation ne semblait pas aussi grave. Même avec cet élément à décharge, je suis très sévère sur mon comportement.

J'en profite pour ouvrir l'enveloppe du médecin et lire que Nils présente un état méningé et qu'il faut d'urgence lui faire un bilan infectieux. Ca ne me remonte pas le moral.

Vincent, du boulot, qui m'a vu partir sans rien dire, m'appelle :

- Yann ?
- Oui, Vincent, là, je suis en route pour l'hôpital pour emmener mon fils à l'hôpital
- Merde...
- Il a sûrement une méningite
- Bon courage
- Ouais, j'ai les boules là, tu vois, carrément


Je raccroche sans attendre, et les larmes me montent. Je n'aurais pas pû faire plus long au téléphone.

On arrive à Purpan, direction l'hôpital des enfants. Encore deux feux rouges trop long. On se gare. Je descends tout, les papiers, le carnet de Santé, Nils et ses affaires, lequel me fait signe de vomir mais non, ça ne vient pas. Je le porte jusqu'aux urgences. Là, elles papotent derrière le comptoir mais s'affairent immédiatement quand je leur tends la lettre.

- On va s'occuper de lui me disent-elles

Je n'ai pas la carte vitale, et elles me disent aussi que ce n'est pas grave. On n'est pas aux états-unis me suis-je dit.

Très vite, Nils est pris en charge. Premières mesures de température. Il n'en a plus, ou plutôt, la même que tout le monde. Ca étonne. Et je ne sais pas si on lui a donné du paracétamol ou autre. J'essaie de joindre Sophie ou Loana. Je suis obligé de sortir dehors pour appeler. Nils est inquiet que je le laisse seul. Il ne me quitte pas des yeux. Je reste exprès à portée de vue à travers les portes vitrées. Il reste sage. Avec toutes ses IRM, ses échographies, ses rendez-vous chez le docteur, il a l'habitude. Je n'arrive à joindre personne. Je trouve ça long. Ca m'énerve. Finalement, j'ai Loana qui me dit que le médecin n'a rien donné et qu'elle ne sait pas pour la crèche. Je n'ai donc rien à ajouter pour aider l'infirmière.

On se rasseoit. Nils est déçu de l'absence de voitures dans le garage posé sur la table. Je lui lis un livre mais il est plus intrigué par ce garçon en maillot de foot avec un plâtre sur la jambe. Avant la fin du livre, on est conviés en salle 14. Là, les infirmières ouvrent une application qui présente spatialement toutes les salles, et le dossier de Nils est rangé salle 14. Je le tiens dans mes bras. Il ne dit mot. Il est encore blanc. Il me dit qu'il a faim. C'est l'heure, c'est normal, surtout qu'il n'a plus rien dans le ventre et je n'ai rien à lui donner.

Je vois arriver une interne. Je me dis que c'est mal barré, une interne, ça ne sait rien. Plus que moi, mais bon là, pour une méningite, quand même, je me dis qu'un gars un peu expérimenté ferait mieux l'affaire. Et ça se confirme quand elle me demande de faire l'historique, pourquoi il prend de l'Oréxol comme antibiotique là.

- Ben, parce qu'on a vu qu'il avait les bronches prises quand il a fait une IRM il y a 15 jours
- Il a fait une IRM, pourquoi ?
- Ben, c'était juste une IRM de contrôle
- Il en fait régulièrement ?
- Oui, il est situs inversus complet, il a ses organes inversés, et bon, y'a des doutes autour de sa rate
- Ah bon ?
- Oui, la première fois, ils avaient pas trouvé de rate, enfin, vous savez, les médecins écrivent pas les trucs, ils disent pas qu'il en a pas, ils disent qu'il en a peut-être pas, mais que c'est pas sûr, car c'est tellement petit que s'ils la voient pas, c'est peut-être parce que c'est trop petit pour la déceler
- ...
- Enfin, c'est pas trop le sujet là, mais bon, un an plus tard, il a changé de statut, il est passé du "il en a peut-être pas" à "il en a peut-être une", parce qu'ils ont vu un truc à l'endroit de la rate, qui fonctionne comme une rate, de la taille d'une rate mais je vous l'ai dit, les médecins écrivent pas alors il en avait peut-être une
- ...
- Et là, un an après, à ses deux ans, ils en trouvé peut-être deux, ... donc je me dis qu'à ses trois ans, il en aura peut-être trois, non ?


Finalement, je la ramène sur le sujet, mais ça leur fait toujours bizarre aux médecins, les trucs compliqués qu'on arrive à leur expliquer mieux qu'eux des fois, surtout aux internes. Comme ça, sur ses particularités, c'est fait, on ne reviendra pas dessus. Là, j'avais l'impression de faire un cours sur le situs inversus complet, et à chaque fois, l'impression que Nils, complètement normal, devienne une sorte de sujet d'expérimentation. Je sais déjà ce qu'elle va penser en mettant son stéthoscope à droite pour la première fois de sa vie. Elle veut savoir si c'est à la naissance qu'on a découvert ça, à l'échographie du 3ème trimestre, et je dis non, et ça semble remettre en cause des choses apprises en cours, visiblement. Alors, je dis non, à ses 6 mois, pour une échographie des reins. Et là, c'est reparti pour le hors sujet :

- Ah bon, pourquoi vous avez fait une échographie des reins
- Ben, parce que dans le cordon ombilical, ...
- Y'avait qu'une artère au lieu de deux
me coupe-t-elle car là, visiblement, ça rejoint ce qu'elle sait déjà
- Oui, et à cette échographie, on a vu que les reins fonctionnaient bien mais qu'il présentait un situs inversus complet, voilà, ...

Ensuite, on discute sur le fait que les médecins en l'oscultant ne l'avaient sans doute pas décelé à cause de l'effet cage de résonance, tandis qu'elle me dit que non, on l'entend bien à droite.

Nils est tout ce temps dans mes bras. Il regarde les souris et le renard dessinés sur le mur. Ceci dit, elle commence à l'osculter, me pose et repose des questions auxquelles je suis en peine de répondre car c'est vraiment Sophie qui va chez le médecin avec les enfants.

Je dis aussi que Nils a été vacciné il y a un mois contre une méningite que transportent les tiques en prévision de nos vacances. Et l'an passé, contre une autre, la C, alors elle m'explique qu'il y en a de toutes sortes.

Nils tend les bras, bouge la tête, regarde en bas, à gauche, en haut, devant, derrière, à droite, là où on lui dit. Je comprendrais ensuite qu'il s'agit de vérifier la souplesse de sa nuque, car une nuque raide est un des symptômes de la méningite. C'est ensuite parti pour un fonds de gorge qui ne révèlera rien, une discussion sur les antibiotiques, sur le poids plume de Nils, qui a quand même perdu un kilo en une semaine, et est encore plus poids plume, et lui, ravi de se peser.

Le médecin entre et sort, resort et rerentre, et Nils se déride, reprend des couleurs, a faim, a vu la boîte d'oeufs en chocolat qui traîne dans une boîte en plastique avec Oui-Oui dessus.

Nils se redéshabille, est inspecté pour voir s'il n'a pas de boutons sur le corps. Dès que le médecin n'est pas là, il me demande "é quoi ça", alors je dis "des perfusions, des gants, encore des gants, des masques", et là, il me dit "moi aussi, masque ... bleu !". Je réponds que oui. Et on recommence plusieurs fois ce dialogue dès que nous ne sommes plus que deux dans la pièce, et ça veut dire qu'il reprend des forces, qu'il ne s'éteint pas, et finalement, le médecin fait son rapport, ses recommandations, il faudra le surveiller mais il n'a pas de méningite, plutôt une angine. Je me dis tout ça pour ça mais en même temps, ce ça, ce diagnostic, je n'en veux pas d'autre que celui-là.

On ressort avec une ordonnance et un rapport, les affaires sous le bras, et j'ai un grand soulagement intérieur. On s'en va, vite, autant pour fuir ce cauchemar que pour rentrer car il est tard : la vie normale de ce petit garçon va reprendre : aller au lit. Dehors, un camion de pompiers est garé, alors Nils est heureux : on se rapproche du camion, Nils fait "Pimpon" plusieurs fois. On reste un moment devant le camion, et les pompiers à l'intérieur n'ont pas l'air de comprendre, pas tous.

On s'en va. Avant de sortir, on croise Sophie qui arrive de l'aéroport. Je sors Nils de la voiture pour qu'il aille avec elle. Elle est soulagée, dit à Nils qu'elle a eu peur, et qu'elle est très contente de le voir. Nos regards se croisent et suffisent pour comprendre que nous avons vécu la même grande angoisse, et maintenant, le même soulagement.

Le lendemain, Sophie ira voir le médecin qui nous expliquera que Nils avait vraiment la nuque raide, et qu'elle a eu 4 cas la semaine passée, et qu'elle s'étonne qu'ils ne lui aient même pas fait de prise de sang. Les médecins ne sont jamais d'accord. Ils en font parfois trop, sans vous ménager, et stressent plus les gens qu'ils ne sauvent des vies. C'est un mode de fonctionnement que j'accepte car la vie n'a pas de prix, et le stress en a un. Nils n'a pas la grande forme, affaibli par plusieurs semaines de tracasseries mais il n'a pas de méningite, et s'il en avait eu une, j'ai découvert qu'elle n'est pas forcément dramatique, qu'elle peut être simplement virale et passagère comme un rhume. Mais le mot fait peur, surtout accolé au mot urgence.

La vie a repris son cours, l'angoisse a disparu et on s'organise cette semaine pour qu'il puisse souffler un peu et se reposer à la maison. On était à Rio Loco le lendemain soir, à manger des gambas au bord de la garonne, en écoutant de la musique espagnole, et tout ça nous semblait déjà loin, même si je suis sûr que Sophie y a repensé autant que moi.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

OK c ton blog mais quand tu ecris la grande angoisse svp rajoute entre paranthese que tout va bien avant de nous faire fliper aussi . du genre la grande angoisse qui finit bien
gros bisous a tous
olivier

Anonyme a dit…

N'en avez vous pas assez d'étaler avec autant d'impudeur, les joies et souffrance de votre famille.

Votre égo vous dicte t-il à ce point, de donner vite des nouvelles au monde entier afin qu'il puisse reprendre son souffle en sachant que vous allez bien.

Mes pérégrinations "bloggistique" m'ont mené (à mes dépends) sur ce sinistre étalage de photo et vidéos privées dont les premières victimes sont ceux qui vous côtoient (Famille/Collaborateurs).

Très cher monsieur Toultour, permettez moi de vous rendre un service, et surtout à votre entourage en vous renvoyant vers les définitions de
Megalomane et de
Egocentrisme afin que vous puissiez prendre la mesure de ce que vous semblez être.
En vous accordant la gratuité de ce commentaire, j'espère que vous y verrez toute la sincérité qui est la mienne.

Je ne doute d'ailleurs pas du fait que vous vous apitoierez devant tant de stupidité de ce commentaire en vous convainquant un peu plus de savoir, vous mieux que je les autres, ce qui est juste et vrai.

Une pauvre âme désespérée de voir internet devenir l'incubateur de tant d’impudeur et d'égoïsme.

Toultour a dit…

1° Je n'en ai pas assez de donner des nouvelles aux amis et familles lointains, et de conserver ce journal de bord pour mes enfants plus tard, bons ou mauvais souvenirs : rares sont les inconnus ici, sur l'impasse qu'est ce blog...
2° L'internet ne vous appartient pas
3° Passez votre chemin et gardez vos commentaires pour vous
4° Restez désespéré, cela vous sied si bien
5° La prochaine fois, un peu de courage, ne restez pas anonyme, surtout que vous ne devez pas l'être

Anonyme a dit…

Je viens de découvrir les nouvelles et ... j'ai eu peur! trop tôt pour vous appeler mais tout va bien et donc je le fais un peu plus tard.
Prendre le temps de partager même le délicat reste une rareté en ce bas monde.Peu importe les motivations privées , merci de le faire.
Je vous embrasse tous les quatre et "merde" aux curieux malsains.
bisous
Marie

Anonyme a dit…

Purée Yann, tu m'as fait peur avec l'histoire de Nils.
J'étais content d'arriver à la fin pour voir qu'il n'y avait rien de méchant.
Ton récit m'a fait retourner quelques années en arrière (26 ans) où j'ai vécu quelque chose de semblable, tes réaction m'ont rappelé les miennes.
Enfin p'tit Nils va bien et c'est le principal.
Et puis ne t'en fait pas trop pour les grincheux, il faut de tout pour faire un monde.
@+
Didier

Anonyme a dit…

Deux mois que je me suis installée dans un temps et un environnement étrangers à ce qui fait mon quotidien en France.
La journée commence à 5 h30 quand le soleil monte sur la vieille ville et que l’or du dôme de la mosquée El Aqsa célèbre à lui seul tous les lieux saints. { Il faut aller sur l’esplanade du temple, être enveloppée par l’espace magnifique qui ouvre l’âme, être saisie par les lignes parfaites des portiques et des vastes escaliers, poser le pied sur les dalles millénaires en s’étonnant chaque fois d’être là, acquiescer à la présence silencieuse et argentée des jardins d’oliviers. Un lieu de jubilation pour la grandeur de l’homme et d’intime compassion pour sa vie pathétique}.
Mon travail commence à 8 heures en salle à manger auprès des résidents âgés ou handicapés : aide à ceux qui ne peuvent manger seuls, puis animation en tous petits groupes jusqu’à l’heure du déjeuner. L’après midi est un temps libre jusqu’à l’heure du dîner (18h). Ici, nous avons 1h d’avance sur l’heure en France, le soleil se couche vers 7 heures et la nuit tombe très vite. Le soir nous dînons sur la terrasse d’où nous voyons tous les feux du mont des oliviers et de Jérusalem. Le vert des minarets, les lumières des maisons et des rues et très souvent (plusieurs fois par semaine) les feux d’artifice qui explosent en éclaboussures multicolores avec les chants et la musique annonçant un mariage. Pas de monument illuminé, la mosquée se découpe comme les autres bâtiments en ombres chinoises sur le ciel plus clair. Et puis c’est l’appel à la prière à 20h et à nouveau à 20h 30 (21h…4h du matin …) c’est à la fois une rumeur cacophonique et une polyphonie saisissante à cause du vent et des collines qui emportent font se répondre et tournoyer les chants dans l’air. La majorité des pensionnaires (de 65 à 97 ans) est d’origine palestinienne ou jordanienne, de langue arabe, dont les proches sont de l’autre côté du mur ou partis à l’étranger. Solitude et dénuement que la vie du Home pallie.
En dehors de la vingtaine d’employés palestiniens et de 2 religieuses, nous sommes actuellement une équipe de 5 à 6 : un étudiant suédois de 20ans, une femme cadre de banque en congé sabbatique, 2 italiennes étudiantes aussi, un marcheur venu de France à pied et dans la maison pour un an
Depuis 2004, j’ai vu le mur changer, aujourd’hui la vie se normalise à l’ombre de cette laideur de béton hermétiquement close à l’exception d’un seul check point sur plusieurs km. Notre quartier est devenu trop calme avec une présence permanente de soldats qui protègent les habituels colons prédateurs des terres dont les palestiniens ont été expulsés à cause de la construction du mur.
Une de mes dernières visites a été Hébron, ‘El Khalil’( celui qui parle avec Dieu), la ville où sont les tombes d’Abraham et de Sarah dans la mosquée coupée en 2 parties ( et très surveillée) pour être lieu de prière pour les musulmans et les juifs. La particularité d’Hébron réside dans la présence de quelques familles de colons juifs extrémistes implantés dans le cœur de la ville au milieu des maisons palestiniennes et avec l’objectif patent de leur rendre la vie impossible pour occuper le terrain. Chaque famille de colons nécessite la présence de l’armée qui établit des barrages quand elle ne coupe pas la rue définitivement. Certaines rues ont un ciel de grillage pour arrêter les pavés, détritus ou projectiles que les colons juifs lancent sur leurs voisins palestiniens. Au quotidien la vie peut être un enfer, les enfants passent les checks points pour aller en classe, et à certains endroits c’est la mission d’engagés internationaux que de les accompagner à l’école pour leur éviter brimades et menaces. Où que l’on soit dans cette grande ville (entre 4 et 5000 habitants) nous sommes dans le champs de mire d’un mirador. La famille que nous avons visitée a toutes ses pièces qui côtoient une colonie avec présence armée sur le toit à quelques mètres seulement des fenêtres. Chantal et Anwar, les amis qui nous ont fait visiter la ville, sont français et vivent là. Anwar y est né et y a grandi avant de venir étudier et travailler en France. Il est professeur d’université, Chantal est déléguée au centre culturel français de Jérusalem Est. Avec beaucoup de difficultés (interdictions, vols…), ils continuent de s’engager au niveau social et éducatif ainsi que culturel. Si vous projetez un voyage, faites-leur signe ! La situation économique est difficile, beaucoup de constructions sont arrêtées en cours et attendent l’argent pour continuer, le travail est si rare que les ouvriers acceptent de travailler ‘à crédit’, cad en étant payé parfois au bout de 2 ans.
Les évènements dramatiques de Gaza changent peu notre vie à l’exception de mesures de sécurité démonstratives en particulier le vendredi, jour de prière à la grande mosquée : la vieille ville est bouclée et nous qui sommes à l’Est en quartier arabe n’avons plus que la marche pour nous déplacer. On ne peut vivre quelque temps ici sans acquérir la conviction que les dispositifs mis en place pour empêcher les attentats font partie de la stratégie de colonisation rampante : il faut rendre la vie impossible pour rester maître du terrain. Beaucoup de checks points ont ce seul objectif, les trajets les plus courts entre 2 villes sont augmentés de 1 à 2h à cause des passages de barrage avec toujours le même processus (file d’attente dans des couloirs grillagés, prise de photo et d’empreintes pour tous les palestiniens, vérification de papiers, retenue arbitraire) ; de Bethlehem pour aller travailler à Jérusalem à une dizaine de km, il faut subir cela à l’aller et au retour. Depuis 2 jours, notre jeune cuisinier n’a pas pu passer. Pour les ouvriers qui travaillent ici à la construction d’un ascenseur, la maison a mis des tentes pour qu’ils passent la nuit sur place et s’assurer ainsi de leur présence et de la continuité des travaux.

En guise de remerciement pour le précieux récit des évènements de la vie des enfants au jour le jour.