dimanche 17 juin 2007

Dafalgan 500

Devant le cloître des jacobins, on attend sagement dans la file des spectateurs prévoyants et ayant déjà acquis leur billet quand une dame arrive et nous raconte sa vie :

- A mon grand âge, vous savez, je souffre d'arthrose et à marcher toute la journée comme ça, je fatigue et il me faudrait de l'efferalgan et d'habitude, j'en ai, mais là, je ne sais pas pourquoi, j'ai oublié d'en avoir sur moi, et j'ai surestimé ma capacité à faire le marathon, et pas seulement des mots, qu'est-ce qu'on court entre les lieux, n'est-ce pas ?, oui, j'ai fait tous les spectacles depuis hier, tous les endroits, et là, il faudrait que je m'assoie ou que je prenne de l'efferalgan ou un truc comme ça, je vais leur demander à l'accueil s'ils en ont, là, aux petites grenouilles en vert, ou alors au crapaud en chef (ils sont tous habillés en vert, les organisateurs du marathon) mais si vous en avez...
- Ah oui, je dois avoir ça,
dit Sophie

On n'a rien demandé. C'est un fleuve verbal qui est arrivé. Pas le genre de vieille dame qui a besoin de causer à la caissière du supermarché avant de retourner chez elle dans sa solitude. Non, plutôt la suractive, qui veut rester jeune, autant dans son comportement que le reste, bonne vivante et dont on le devine tout de suite.

- Ah non, ce n'est pas ce que je croyais, en fouillant et tombant sur une plaquette qui n'en est pas, qui est autre chose, je pensais mais c'est autre chose
- Ah, c'est autre chose ? bon...
- Oui, je croyais mais...
- Mais ils vont surement me trouver ça, les petites grenouilles, en plus je les connais bien
- Ah...
- Oui, j'ai fait toutes les lectures quasiment, et j'en connais quelques-uns, je fais des photos, hier, les jambes de Fanny Ardant, quelles jambes !


Puis, une jeune qui fait la queue juste derrière nous lui tape sur l'épaule et lui tend un bout de plaquette de dafalgan 500 avec encore un comprimé dedans.

- Mais vous n'en avez pas besoin demande la vieille dame, pas si âgée d'ailleurs (mais qui aime à le rappeler étonnament)
- Pas pour l'instant, jusqu'ici tout va bien, je n'en ai pas besoin... a priori lui lance-t-elle avec un humour certain
- Merci beaucoup, j'ai une bouteille d'eau, ça va me faire du bien, bon, d'habitude, il me faut trois efferalgan 1500, sinon je ne sens rien

Moi qui n'en prends jamais, trois grosses doses, je me dis... même si rapporté au poids, l'écart est moindre mais ce n'est pas tant cela qui m'interpelle que ce coté latin, où les gens, avais-je lu dans Le Monde il y a peu, à la question "ça va ?" se lancent très rapidement en racontant justement tout ce qui ne va pas, tandis que dans d'autres pays, plus nordiques ou anglo-saxons, on se contente de répondre par des banalités pudiques, n'étalant jamais ainsi les difficultés personnelles. Et encore, pour juger ainsi de son expansivité bien latine, aurait-il fallu que nous lui posions cette question...

Mais tout cela était amusant, et tout autant l'était le fait que toutes ces femmes étaient à ce point des pharmacies ambulantes, qu'il leur faille dans leur sac, un arsenal chimique dépassant le simple cadre de la pilule, et que même Sophie puisse avoir sur elle des aspirines ou du paracétamol en standard. Une grande découverte fort passionnante, que de les voir ensuite toutes les 3 (la dame, Sophie, la sauveteuse au dafalgan) échanger sur le sujet. Seul représentant masculin à ce moment là, j'ouvrais toutes grandes mes oreilles.

L'attente se prolongeait, la file s'allongeait et se densifiait, et la vieille dame avait trouvé d'autres compagnons de discussion.

J'avais compris qu'elle venait de Paris, lorsqu'elle s'était étonnée à un moment de la conversation que les gens n'achètent pas leurs billets à l'avance, ici, à Toulouse, viennent comme ça, tranquille, les mains dans les poches, voir Edouard Baer lire du Modiano dans un cloître et que, sans doute, elle était d'ailleurs fatiguée à cause d'avoir stressée ici comme une parisienne. Mais je compris qu'elle venait de s'installer ici lorsque causant avec ses nouveaux compagnons de discussion, je l'entendis dire que le plus dur, dans l'installation en province, était de trouver un gynéco, un coiffeur, et un dentiste. Autour d'elle, je vis les gens acquiescer avec une certaine empathie. Et c'était reparti pour un tour...

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